En 1919, le royaume afghan, sous protectorat britannique depuis près de 40 ans, retrouve sa souveraineté externe, après avoir su éviter d’être entrainé dans le premier conflit mondial, malgré une tentation qui lui vint des allemands. Le jeune roi, AMANULLAH KHAN (1919/1929), affiche des ambitions réformistes. Plutôt que de s’adresser à l’ancien « protecteur » pour l’aider à moderniser son royaume, il fait le choix de la France pour ce qui est de l’éducation, sans doute très influencé par son fils qui, étudiant en France, s’était lié d’amitié avec Edouard HERRIOT.
En 1922, les archéologues français furent les premiers étrangers à obtenir du roi AMANULLAH le droit de séjourner en permanence sur le territoire afghan. C’est ainsi que fut créée la prestigieuse mission archéologique DAFA, fleuron des missions françaises en Afghanistan.
C’était le début d’une amitié singulière entre la France et l’Afghanistan qui ne se démentira pas au fil des années malgré le remplacement progressif de la langue française, langue longtemps parlée par l’élite afghane, d’abord par le russe, maintenant par l’anglais.
Adoptée en 1923, la première constitution moderne de l’Afghanistan ne s’est elle pas largement inspirée du modèle français ? Celle de 1964 qui introduisit la monarchie constitutionnelle également.
C’est ainsi qu’en 1930 le roi confie à la France la direction des deux principaux lycées de Kaboul, le lycée de garçons ESTEQLAL (indépendance) et le lycée de filles MALALAÏ (la « Jeanne d’Arc » afghane). Les enseignants français assurent un enseignement bilingue. En 1931, le baccalauréat afghan de ces deux lycées est même reconnu comme équivalent du baccalauréat français.
Cette relation d’amitié a été amplifiée par le souverain ZAHER SHAH qui, durant son règne de 1933 à 1973, est resté très proche de la France afin de contribuer à la modernisation de son pays. Il a poursuivi cette coopération culturelle qui a bénéficié à plusieurs générations d’afghans.
En 1965, le roi ZAHER SHAH se rend en visite en visite officielle en France. Il rencontre le général De Gaulle qui décide de renforcer l’aide française à l’Afghanistan, en particulier pour la reconstruction du lycée ESTEQLAL.
En mai 1968, le premier ministre Georges POMPIDOU effectue en retour une visite officielle en Afghanistan au cours de laquelle il pose la première pièce du nouveau lycée qui sera inauguré en 1973. A l’occasion des réunions de travail et des réceptions qui sont organisées, il va de surprise en surprise : tous ses interlocuteurs, à commencer par les membres de la famille royale, parlent un excellent français…Certes, à cette époque, Georges POMPIDOU a d’autres sujets de préoccupation …… mais il n’oubliera pas l’Afghanistan et le programme de coopération est renforcé dans les mois qui suivent. La coopération franco-afghane est à son apogée (c’est à cette époque que le commandant Massoud est élève du lycée ESTEQLAL)
C’est dans ce contexte d’estime réciproque que les médecins et pharmaciens afghans, trop peu nombreux pour assurer la totalité des enseignements dispensés au sein de la faculté de médecine et de pharmacie de Kaboul, firent appel à la France. Notre pays accéda à cette demande et de nombreux médecins et pharmaciens partirent enseigner en Afghanistan entre 1947 et 1952. Cette coopération s’est poursuivie entre 1952 et 1958 sur la base de stages en France de médecins, pharmaciens et étudiants afghans et de l’envoi ponctuel d’enseignants français à Kaboul.
1963 marque un tournant : le doyen de la faculté de médecine de Lyon, Jean-François CIER, répondant à un nouvel appel à la coopération franco-afghane dans le domaine de la santé, se rend à Kaboul pour mettre en place une collaboration basée sur l’envoi de professeurs français à Kaboul pour une durée variable de 2 mois à 4 ans et de l’attribution de bourses d’études ( 3 à 6 mois) pour des médecins afghans et des étudiants afghans souhaitant compléter leur formation médicale. Deux postes de professeur agrégé (médecine générale et chirurgie générale ) sont ainsi créés à Lyon au titre de la coopération avec la faculté de médecine de Kaboul pour une durée de 4 ans ( le professeur SAVOYE et le professeur SPAY en furent les bénéficiaires)
Un accord similaire fut signé le 30 avril 1963 entre les facultés de pharmacie de Lyon (Professeur NETIEN), de Nancy (professeurs BESSON, PELT, HAYON) et de Kaboul (doyen SAÏD ABDULLAH) permettant la formation de pharmaciens afghans en France.
Un nouvel élan fut concrétisé par l’accord signé le 21 août 1966 qui reconnaissait officiellement que la faculté mixte de médecine et de pharmacie de Lyon était le maître d’œuvre de la coopération franco-afghane dan le domaine de la santé.
C’est dans ce cadre que deux professeurs de la faculté de pharmacie de Kaboul préparèrent leur thèse d’Etat en France entre les années 1966 et 1969 :
– Le professeur PAYENDA, pharmacologue formé à la faculté de pharmacie de Nancy ,
– Le professeur SAIFI, biochimiste formé à la faculté de pharmacie de Lyon.
Sur 10 pharmaciens partis en formation en France pendant cette période,1962-1972 , ils sont les seuls à être retournés enseigner à Kaboul !
(Toujours en activité à la faculté de Kaboul, c’est les larmes dans les yeux que le Professeur PAYENDA et le Professeur SAIFI ont accueillis en juillet 2002 les deux missionnaires de la faculté de pharmacie de Lyon , Dominique MARCEL et Christian COLLOMBEL ….cela faisait 25 ans qu’ils étaient coupés de l’Almamater ! avec émotion ils leur ont montré les restes du jardin botanique créé par le Professeur NETIEN en 1963, détruit par les talibans)
Cette collaboration connaitra un coup d’arrêt au lendemain de l’invasion par les troupes soviétiques (1979) avec la fermeture du centre culturel français et de la représentation diplomatique. Cependant de nombreuses ONG médicales françaises (Aide Médicale Internationale, Médecins du Monde, Médecins sans Frontières, Pharmaciens sans Frontières…) présentes au côté des moudjahidines du commandant MASSOUD durant les années d’occupation soviétique (1979-1989) maintenaient cette collaboration médicale dans la clandestinité, puis plus ouvertement à partir de 1992 jusqu’à la chute du mollah OMAR ( décembre 2001).
La présence française exemplaire, continue et soutenue depuis la fin des années 50, même pendant les heures les plus sombres de la guerre, a marqué les esprits et les cœurs des afghans. Et c’est tout naturellement que l’actuel gouvernement afghan d’Hamid KARZAÏ, s’est tourné dès 2002 vers la France pour faire revivre la coopération universitaire et hospitalière dans le domaine de la santé (médecine, pharmacie, soins infirmiers…).
Ainsi en mai 2002, compte tenu de la situation dramatique dans laquelle se trouve le secteur de la santé en Afghanistan, l’université Claude Bernard de Lyon et les Hospices Civils de Lyon, sollicités par le ministère des affaires étrangères français en la personne du Docteur Frédéric TISSOT, responsable du programme santé de l’ambassade de France à Kaboul, ont décidé de répondre à cette demande et de reprendre cette collaboration :
– Une convention concernant la médecine a été signée le 15 septembre 2002 entre l’institut médical de Kaboul, l’université Claude Bernard et le Hospices civils de Lyon.
– Elle fut complétée par une convention de coopération hospitalière entre les Hospices Civils de Lyon et l’hôpital universitaire ALI ABAD de Kaboul , signée le 14 juillet 2003.
– La convention concernant la pharmacie a été signée le 3 février 2003 à Kaboul entre la faculté de pharmacie de Kaboul, la faculté de pharmacie de Lyon et les Hospices civils de Lyon.
Cette nouvelle phase de la collaboration franco afghane s’inscrit dans un contexte dramatique. Plus d’un quart de siècle de troubles politiques et de guerre (1973 à 2002) ont laissé le secteur de la santé en ruines. Ainsi la plus grande partie de la population n’a pas accès aux soins de santé les plus élémentaires ;un rapport émanant de l’O.M.S. nous rappelle qu’en 2000 :
• L’espérance de vie à la naissance est tombée à 47,2 ans pour les
femmes et à 45,3 pour les hommes,
• Un enfant sur quatre décède avant sa cinquième année, décès dû le plus souvent à une pathologie infectieuse, donc évitable (infection respiratoire, diarrhée…..),
• Une mortalité maternelle importante, de l’ordre de 20%,
• Malnutrition et absence totale d’hygiène contribuant à aggraver cette situation
Comme beaucoup d’autres secteurs de la santé, la pharmacie afghane éprouve d’énormes difficultés à revivre après ces années de chaos qui ont conduit au quasi anéantissement de la profession :
• Incendie de la Faculté de pharmacie de Kaboul en 1992, après le départ des troupes soviétiques, puis pillage par les talibans de tout ce qui pouvait se revendre ( cuivre des câbles électriques, conduites d’eau, produits chimiques, instruments de laboratoire…). Lors de la première mission en juillet 2002 de Dominique MARCEL et de Christian COLLOMBEL, il ne restait que les murs de ce beau bâtiment bien situé sur le campus universitaire. Le jardin botanique, créé par le Professeur NETIEN en 1963, était dévasté. Depuis, l’armée américaine a repeint le bâtiment et rétabli l’eau et l’électricité.
• Exode massif des diplômés, principalement vers les Etats Unis, l’Allemagne et la France : sur 4 500 pharmaciens diplômés formés en Afghanistan depuis 1962, seul 350 seraient restés au pays avec, comme conséquence, la multiplication d’officines « sauvages » sans pharmacien et l’explosion du marché parallèle dans la rue de faux médicaments.
• Arrêt quasi-total de ce qui fut le laboratoire de contrôle des médicaments du Ministère de la Santé.
• Mise en place, par les talibans, d’un diplôme de pharmacien au rabais avec une formation de trois mois après le baccalauréat !
Face à une situation aussi catastrophique, les pharmaciens rescapés, courageux et volontaires, en particulier les enseignants de la Faculté de pharmacie de Kaboul, entrainés par le Doyen de la faculté, le Professeur BABURY (formé en U.R.S.S) ont lancé, dès le début 2002, un appel à la solidarité, en particulier à la France, se rappelant la coopération très fructueuse des années 60. C’est dans ce contexte qu’a été signée le 3 février 2003, la convention tripartite entre la Faculté de Pharmacie de Lyon, la Faculté de Kaboul et les Hospices Civils de Lyon.
Cette convention prévoit la participation d’enseignants pharmaciens, de praticiens hospitaliers ( pharmacie et biologie) et d’internes en pharmacie (pharmacie et biologie) aux activités d’enseignement et de soins au sein de la faculté et des hôpitaux universitaires de Kaboul avec en particulier une aide dans des domaines ciblés par nos interlocuteurs afghans, à savoir :
• Remise en route des travaux pratiques, l’enseignement dispensé étant entièrement théorique faute de matériel,
• Participation à l’enseignement magistral, en particulier en santé publique et hygiène, microbiologie, toxicologie, chimie thérapeutique, pharmacie clinique,
• Participation à l’acquisition de matériel pédagogique (ordinateurs, rétroprojecteurs…),
• Collaboration à la réflexion sur la place du pharmacien afghan, acteur de santé publique et à la mise à jour des programmes des études universitaires (5 ans) en collaboration avec la Faculté de pharmacie de Téhéran,
img787|right|taille|largeur=200>• participation à la mise en place d’un laboratoire de chimie analytique appliqué au contrôle de qualité des produits pharmaceutiques,
• participation à la reconstitution de la documentation scientifique de la bibliothèque de la faculté de pharmacie de • accueil à Lyon d’enseignants et d’étudiants de la Faculté de Kaboul pour des périodes de formation et de perfectionnement,
• Participation à la réorganisation des activités hospitalières
– pharmacie hospitalière : bonne dispensation des médicaments, gestion des commandes et des stocks, stérilisation, hygiène,
– biologie clinique : bonne prescription des examens, bonne exécution des analyses ,initiation au contrôle de qualité.
NB- En 2003, la Faculté de pharmacie de Kaboul comptait 320 étudiants dont 50 filles, sélectionnés par concours d’entrée après le bac (2000 candidats pour 70 admis dont 10 filles)
Ce programme strictement limité à l’essentiel n’a pu être mis en œuvre qu’à travers un partenariat fort associant l’Université Claude Bernard, les Hospices Civils de Lyon, la Municipalité lyonnaise et le Conseil de la Région Rhône-Alpes. Le docteur Frédéric TISSOT, responsable du programme santé au sein de l’Ambassade de France à Kaboul a mis en place ce partenariat voulant montrer que la France est capable de répondre à l’appel à l’aide d’un peuple ami et francophile qui lui fait confiance. C’est grâce à la volonté farouche et entrainante de Frédéric TISSOT que ce programme a pu se réaliser.
Les universitaires pharmaciens lyonnais et les pharmaciens hospitaliers lyonnais (pharmacie et biologie) ainsi que les internes (pharmacie et biologie), encouragés et soutenus par leur autorité de tutelle ont répondu présents et n’ont pas hésité à séjourner à Kaboul dans des conditions précaires et parfois très difficiles. François-Xavier BABIN est le premier à avoir effectué, en 2002, un semestre d’internat en pharmacie à l’hôpital universitaire Ali Abad de Kaboul.
Heureusement, les internes ont pu faire valider par les autorités françaises le semestre hospitalier, très formateur, qu’ils ont accompli dans les services de l’hôpital de Kaboul.
Une association, Lyon Kaboul Pharmacie, a été créée en 2002 pour fédérer les bonnes volontés sensibilisées par la situation de leurs collègues afghans.
C’est dans ce contexte de collaboration que le professeur Jean FRENEY et le professeur Mohammad HAJI ont rédigé l’ouvrage de bactériologie médicale, dont la traduction en langue DARI a pu être réalisée grâce au soutien de la Fondation MERIEUX . Cette publication comble un manque dans une discipline essentielle pour contribuer à préserver la santé des Afghans.